Le vrai bilan des Accords ? Ce n’est ni la paix, ni le développement, ni la réconciliation. C’est l’effondrement d’un système causé par l’exil silencieux d’un européen sur trois. 25 ans d’accord pour 25.000 départs. Méthodologie d’estimation démographique et chiffre qui change tout.
Pendant que certains se réunissaient, négociaient, signaient, débattaient ou rêvaient, d’autres ont simplement fait leurs valises. Ils sont partis. Un sur trois. Et leur absence pèse aujourd’hui sur tout : l’économie, la transmission, la santé, les équilibres politiques.
Nous avons en effet voulu savoir combien de personnes vivent vraiment en Nouvelle-Calédonie en ce mois de mai 2025. Et notamment : qui compose cette population, maintenant que les repères classiques ont volé en éclats. Mais pour cela, nous n’avons pas attendu les chiffres officiels du recensement. Ils viendront. Peut-être. Un jour. Nous avons simplement travaillé avec ce qui existe. Ce que tout le monde peut vérifier. Ce que tout le monde sait, mais que peu osent nommer.
Une base cohérente : 260 694 habitants
Nous sommes partis d’un chiffre : 260 694. Pas arrondi. Pas rêvé. C’est une estimation sérieuse, réaliste, consolidée, issue du croisement de plusieurs sources indépendantes :
- les publications récentes de l’ISEE,
- les données migratoires révélées par la CCI,
- les effectifs scolaires compilés par le vice-rectorat,
- les articles de presse de NC1ère, de la DENC, de LNC,
- et les discussions informelles avec plusieurs acteurs de terrain.
En 2019, la population officielle était de 271 407. Mais depuis ? Entre 2020 et 2024, la Nouvelle-Calédonie a perdu plus de 10 000 habitants, dont plus de 90 % sont européens (ou métropolitains/soumis-à-séjour venus travailler temporairement). C’est David Guyenne, président de la CCI, qui l’a affirmé publiquement : solde migratoire négatif de –10 713 en 2024. Ce n’est pas une rumeur. C’est un chiffre d’entreprise, d’aéroport, de comptable.
Le vrai thermomètre ? Les écoles.
Nous avons ensuite regardé l’évolution de la population scolaire, car la République a ceci de remarquable : elle recense tous les enfants en les scolarisant. 100% d’une classe d’âge entre en classe de sixième. Et là, les chiffres sont incontestables.
Année | Élèves (1er + 2nd degré) |
2010 | 68 488 |
2015 | 66 826 |
2019 | 64 938 |
2025 | 58 188 |
Soit –10 300 élèves en 15 ans. Soit une perte d’un élève sur six. Et ce ne sont pas les Kanak qui partent.
La baisse touche prioritairement les familles européennes, les fonctionnaires mutés qui ne reviennent pas, les retraités qui rentrent « au pays », les entrepreneurs qui ferment boutique.
Dans les écoles de Nouméa, Dumbéa ou Païta, la baisse des effectifs se voit dans les classes, les photos de rentrée, les suppressions de postes.
Une méthode de répartition prudente, mais lucide
Nous avons donc pris comme base cohérente 260 694 habitants. Et nous avons réparti cette population non pas selon des fantasmes raciaux, mais selon les dynamiques visibles, vérifiables, déclarées :
- Les Kanak continuent de croître, avec une progression modérée mais régulière (environ +1 388 par an sur 40 ans).
➤ Estimation 2025 : 120 187 Kanak. - Les Européens, eux, décroissent.
➤ Estimation 2025 : 49 000 personnes, contre près de 74 000 en 2014. Une chute vertigineuse, mais documentée. Il y a désormais moins d’européens en Nouvelle-Calédonie qu’il n’y en avait avant l’insurrection kanak de 1984 (car ils étaient 53 974 lors du recensement de 1983) - Les Wallisiens et Futuniens restent relativement stables, autour de 22 000.
- Les Métis, les « plusieurs communautés », les « je suis un peu tout » se stabilisent. Ils étaient 57 000 en 2019, ils sont très probablement 55 000 aujourd’hui.
- Et enfin, il y a les non-déclarés, les silencieux, les désaffiliés. Ceux que l’ISEE appelle pudiquement « inconnus ». Ceux qui refusent les cases ou en attendent de nouvelles.
➤ Nous les avons estimés à 14 507 personnes. C’est peu, et c’est beaucoup.
Le tableau final (2025)
Communauté | Estimation 2025 | Proportion |
Kanak | 120 187 | 46,1 % |
Européens | 49 000 | 18,8 % |
Wallisiens/Futuniens | 22 000 | 8,4 % |
Métis / Autres | 55 000 | 21,1 % |
Non-déclarés | 14 507 | 5,6 % |
Total | 260 694 | 100 % |
Et donc ?
« Le seuil de tolérance des Blancs est déjà atteint. » Voilà ce qu’a déclaré Roch Wamytan devant une délégation parlementaire en avril 2024. Phrase lourde, officielle, consignée dans un rapport de l’Assemblée nationale. Phrase qui dit le trop-plein, l’excès, l’impatience. Mais le réel, lui, dit tout à fait autre chose.
Depuis 2015, la Nouvelle-Calédonie a perdu près de 25 000 habitants d’origine européenne. Un tiers de cette population. Un sur trois a quitté le territoire. Disparu. Sans bruit. Sans colère. Mais ils sont partis. Et avec eux, c’est une part entière du tissu économique, technique et entrepreneurial du pays qui s’est effondrée. Des entreprises ont fermé, des savoir-faire ont disparu, des centres se sont vidés. Ce n’était pas une classe dominante : c’était une colonne vertébrale.
Ils sont partis sans discours ni tambour. Ceux qui le pouvaient, et ceux qui ne pouvaient plus : les meilleurs – comme toujours, les plus doux, les plus fatigués, les plus dignes. Ils n’ont pas fui la défaite, mais refusé le mensonge. Ils ont regardé ce que devenait leur pays — et ils ont choisi de ne pas y survivre à n’importe quel prix. Mais en partant, ils nous ont légué quelque chose d’une grande valeur : la possibilité de voir enfin le vide que leur absence provoque, de le nommer, de le mesurer. Et peut-être — pour ceux qui restent — l’opportunité d’en finir avec le confort du déni.
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Ce que montre cette méthode, ce n’est pas une projection. C’est un basculement déjà enclenché. La fin d’un règne tranquille. L’émergence d’une pluralité. La centralité kanak. Et la fragmentation lente et muette de ce que l’on appelait autrefois « le monde caldoche ».
À vous de contester, si vous le pouvez.
Toutes les données que nous avons utilisées sont publiques. Aucune invention. Aucune manipulation. Juste de la méthode, de la mémoire, et du courage.
Le reste, ce sont les chiffres qui parleront.
Et bientôt, ce seront les enfants — et ceux qui restent — qui vivront ce basculement.