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La caste colloquiale

Il y a en Nouvelle-Calédonie une caste discrète, élégante et indéboulonnable, qui a trouvé sa vocation dans un art rare : parler de réforme sans jamais se réformer. On la reconnaît facilement. Elle s’habille en chemise blanche, adore les réunions plénières, prend des notes dans des carnets en cuir, et utilise “projet de société” et “nouveau modèle économique” comme d’autres diraient bonjour.

Son habitat naturel : l’auditorium climatisé.

Son cri de ralliement : “Il faut un dialogue constructif.”

Son rythme vital : un colloque tous les deux mois.

La réunion comme identité

Depuis 2020, ils ont tout tenté — sauf le changement :

  • Des conférences sur la réforme fiscale,
  • Des colloques sur la répartition des richesses,
  • Des séminaires sur le financement des entreprises,
  • Un plan de refondation sociale (en opposition à un autre plan de refondation sociale),
  • Des consultations, des panels, des assises, des audits, des feuilles de route.

À chaque fois, ils produisent des powerpoints. Des comptes rendus. Des photos en chemise. Et surtout : aucune réforme. Ils aiment tellement le mot « réformer » qu’ils l’ont vidé de son sens. Ce qu’ils veulent, ce n’est pas changer le système. C’est continuer à se parler entre eux, pendant que le système les nourrit.

Fonctionnaires du discours, rentiers du réel

Cette caste est multiple, transpartisane, transgénérationnelle, et parfaitement huilée. On y trouve :

  • Des élus locaux que plus personne n’élit vraiment,
  • Des syndicalistes devenus semi-consultants,
  • Des entrepreneurs installés dans la commande publique,
  • Des hauts-fonctionnaires à la retraite précoce,
  • Des universitaires jamais trop radicaux.

Ils critiquent l’inefficacité de l’État… en vivant de ses transferts. Ils dénoncent la complexité fiscale… en profitant de ses niches. Ils se disent inquiets pour le Ruamm… mais ne proposent jamais d’y contribuer plus. Ils sont tous “préoccupés”. Jamais concernés.

Le théâtre de la réforme

Ils se réunissent donc, et répètent religieusement leurs psaumes :

“Il faut repenser notre modèle.”

“Nous sommes tous d’accord pour agir.”

“La priorité, c’est la jeunesse et l’emploi.”

“Le système actuel n’est plus soutenable.”

“Nous devons écouter la société civile.”

Mais au fond, ils ne parlent jamais d’eux-mêmes. Jamais ils ne disent : “Nous devons renoncer à nos avantages. Nous devons réduire nos indemnités. Nous devons sortir du confort institutionnel qui nous protège.” Non. Leur génie, c’est le diagnostic sans sacrifice.

Une caste qui survit à toutes les transitions

Ils étaient là avant les Accords. Ils étaient là après. Ils seront là après l’échec du prochain projet d’accord.

Car ils n’ont pas besoin que les choses changent. Il leur suffit qu’elles aient l’air de changer. Tant qu’il y a une conférence à organiser, une mission à parrainer, un communiqué à relayer… la caste survit. Elle se reconduit. Elle s’auto-valide. Elle fait système.

L’enjeu : les sortir de la salle

Tant que cette caste règne, aucune réforme réelle n’est possible. Elle parlera du Ruamm jusqu’à son effondrement. Elle parlera d’emploi pendant que les jeunes diplômés partent. Elle parlera d’égalité pendant que les rentes se creusent.

Il faudra donc, un jour, cesser de l’inviter. Et commencer à lui demander des comptes. Non pas sur ses discours — mais sur ses silences. Sur ce qu’elle sait. Sur ce qu’elle tait. Sur ce qu’elle a capté. Et sur ce qu’elle refuse de lâcher.

Sinon, à la fin, il ne restera plus que deux types de Calédoniens : ceux qui organisent des colloques, et ceux qui en paient les buffets.

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