Je les écoute. Chaque vendredi. Religieusement, presque. Le Club Politique, sur RRB.
Je les écoute comme on écouterait des oncles en train de raconter et de refaire le voyage qu’ils ont déjà fait mille fois, assis sur une aire d’autoroute, carte routière à la main, refaisant le parcours.
Pas pour avancer.
Juste pour se souvenir.
« Tu te rappelles, c’est là qu’on avait tourné à gauche par erreur ? »
« Ah oui… et juste après on avait crevé la roue arrière… »
Et puis ce silence. Un de ces silences qui ne regarde plus la route devant. Mais la poussière du coffre.
Ce qu’ils disent, chaque semaine, ce n’est pas rien. C’est précis, documenté, posé.
Ils parlent de droit constitutionnel, de souveraineté partagée, de référendums, d’histoire, de peurs.
Ils parlent bien.
Ils parlent mieux que beaucoup.
Mais ils ne parlent plus vers demain.
Ils évoquent essentiellement, inlassablement, presque mécaniquement le passé.
Pas une fois, dans tout ce qu’ils ont dit, on ne les a entendus dire : “Et si on essayait autre chose ?” Non.
Ils marchent sur place dans une impasse, en regardant le mur au fond,
et en discutant entre eux des meilleurs souvenirs vécus sur le chemin qui les a amenés là où ils sont.
C’est leur façon de ne pas tomber.
Il y a, dans leur silence sur ce qui s’ouvre, moins du mépris que du vertige.
Ils ont vu une autre route s’ouvrir, mais ils n’ont pas envie de l’explorer.
Ce n’est pas qu’ils détestent la Double Reconnaissance.
Ils ont vu passer le texte bien sûr. Ils l’ont peut-être lu.
Mais c’est qu’ils ne veulent plus reconnaître rien. Du moins, rien de nouveau.
Ni eux-mêmes, en ce qu’ils sont devenus.
Ni le pays.
Ni l’époque.
Ils parlent de ce qu’ils ont déjà vu.
Jamais de ce qu’ils voudraient voir.
Et peut-être qu’au fond,
ce n’est pas leur faute.
Alors moi, chaque vendredi, je les écoute.
Comme un fils durant l’hiver 1939 écoute son père raconter la guerre de 14.
Respectueusement.
Mais en se demandant, doucement :
et nous, qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?
Parce que moi, je ne veux pas qu’on finisse sur une aire d’autoroute.
Je veux qu’on trouve la sortie.
Et qu’on s’y engage. Ensemble.
Même à pied.