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Philippe Séguin, dernier homme debout

Il y a des voix qui, une fois éteintes, crient plus fort encore. Celle de Philippe Séguin – inoubliable – un 5 mai 1992 à la tribune de l’Assemblée nationale, en fait partie. Ce jour-là, il dit tout. Et aujourd’hui, tout s’est réalisé.

Le sujet était Maastricht. L’enjeu, la souveraineté. Mais au fond, c’était déjà la fin d’une époque : celle où les nations savaient encore ce qu’elles voulaient. Ce qu’il dénonçait, avec une clairvoyance saisissante, c’était la mise en place d’un système politique nouveau : sans peuple, sans ancrage, sans responsabilité. Un régime où les décisions sont prises ailleurs, par d’autres, au nom d’intérêts supposés supérieurs. Ce qu’on appelait l’Europe. Ce que nous appelons aujourd’hui : la fuite.

Car voilà le fil rouge, le nœud même du mal : la volonté de fuir. De ne plus assumer. De remettre les clés à un syndic délocalisé, qu’il s’agisse de Bruxelles ou d’un « accord » à la calédonienne. En Nouvelle-Calédonie comme dans l’Union européenne, on ne tranche plus, on suspend. On ne gouverne plus, on équilibre. On ne dit plus la vérité, on compose.

Le trait d’union entre Maastricht et les Accords de Matignon ou de Nouméa, c’est cette même logique de désengagement : l’éloignement de la responsabilité politique, la dilution de l’autorité, le refus du tragique. On transfère, on temporise, on désigne un « autre » pour porter la décision. Là-bas, un juge européen. Ici, un préambule ambigu ou un « gouvernement collégial ». Mais dans les deux cas, le résultat est le même : plus personne ne répond de rien.

Philippe Séguin fut l’un des derniers hommes politiques à penser la souveraineté comme un devoir. Pas une nostalgie. Pas un symbole. Mais un poids, une charge, une exigence. À ceux qui dissertaient sur une « souveraineté partagée », il répondait avec la puissance de l’évidence : on est souverain ou on ne l’est pas.

Trente ans plus tard, le bilan est là. L’Europe est un protectorat technocratique. La France une puissance vassalisée. La Nouvelle-Calédonie une déréliction sous accord. Partout, la même scène : des gouvernants qui n’ont plus de cap, des peuples qui n’ont plus de voix, des enfants qui tiennent les leviers.

Car voilà le mot. Le vrai. Celui qu’on n’ose pas dire. Enfants. Ce n’est pas une insulte, c’est un diagnostic. Nous sommes gouvernés par des enfants : émotifs, fragiles, sans mémoire ni transmission. Ils ont remplacé l’histoire par la communication, la décision par le consensus, la responsabilité par la procédure.

L’enfant ne sait pas ce qu’est la souveraineté. Il ne veut pas choisir. Il veut être protégé. Il croit que le monde se gère en douceur. Cette génération, issue de Mai 68, ne voulait pas hériter, elle voulait jouir. Elle a substitué le droit à la loyauté, le bien-être à la justice, le processus à la vérité.

Aujourd’hui, les dettes s’accumulent. Démocratiques, financières, sociales, symboliques. Et comme toute dette, elles finiront par être réglées. Dans la douleur, dans la rupture, dans le retour du réel.

Les Calédoniens le savent déjà. Le peuple français le sent confusément. Le monde occidental tout entier tangue au bord de cette prise de conscience.

Séguin l’avait annoncé. Nous devons maintenant, enfin, l’écouter.

Rendre au peuple la parole. Rendre à la souveraineté son sens. Rendre au politique son tragique.

Car ce qu’on ne veut pas assumer, on le subira. Ce qu’on refuse d’énoncer, on le criera plus tard dans la rue. Et ce qu’on détruit dans le silence, il faudra le reconstruire dans le tumulte.

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