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Un Quart d’Heure Intello : la Politique Calédonienne à l’épreuve de la Littérature

Il y a en France un vieux lien, tenace, entre la politique et la littérature. L’un attire l’autre comme la flamme attire la nuit. Les discours veulent des envolées lyriques, les pamphlets cherchent la fulgurance d’un style, et les idées, pour exister, s’habillent toujours d’une certaine rhétorique. Comme disait Hugo — le plus grand écrivain de France, hélas ! — “la forme, c’est le fond qui remonte à la surface”. Alors prenons le à son mot. Parodions, pastichons, imitons la forme pour comprendre le fond. Laissons la littérature révéler ce que la politique tente de dissimuler derrière ses slogans.

Aujourd’hui, la Nouvelle-Calédonie est un théâtre où chaque parti joue son rôle, costume bien repassé, voix assurée. Mais derrière les postures, que reste-t-il ? Des idées ? Parfois. Des ambitions ? Souvent. Des contradictions ? Toujours. Alors jouons à ce jeu : imaginons que les partis politiques calédoniens soient des personnages d’un roman collectif, écrits par de grands auteurs. Car après tout, il n’y a pas de meilleure façon de cerner un personnage que de l’entendre parler avec des mots qui ne sont pas les siens.

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L’Éveil Océanien, par exemple, flotte dans l’air tel un personnage d’Albert Camus. “Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas.” C’est l’incarnation parfaite de ce parti qui avance dans l’absurde calédonien avec une élégance désinvolte. L’indépendance ? Peut-être. La souveraineté partagée ? Pourquoi pas. Ou pas du tout. On ne sait plus. On est là, on regarde l’horizon, indifférents aux certitudes des autres, convaincus que l’essentiel est d’hésiter avec style. Après tout, “il n’y a pas de destin qui ne se surmonte par le mépris”, disait Meursault. L’Éveil semble l’avoir compris : mieux vaut douter que trancher.

Puis il y a Calédonie Ensemble, où l’ombre de Marcel Proust s’étire, interminable. “Longtemps, je me suis couché de bonne heure.” Et longtemps, CE s’est couché devant des concepts alambiqués d’indépendance-association, de citoyenneté partagée, de référendum éclairé, de vivre-ensemble méticuleusement défini dans des notes de bas de page. Chaque phrase est une spirale, chaque idée un labyrinthe. On cherche dans ce dédale la cohérence comme on cherche la madeleine perdue, avec nostalgie et un certain snobisme. “Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux.” Sauf qu’ici, on garde les mêmes lunettes, le même regard mélancolique, espérant que le paysage finira par changer de lui-même.

Les Loyalistes, eux, n’ont pas ce genre de problème. Chez eux, c’est Ernest Hemingway qui tient la plume. “Un homme peut être détruit, mais pas vaincu.” La France, c’est simple : on l’aime. L’indépendance, c’est clair : on n’en veut pas. Pas de fioritures, pas de métaphores. On parle en phrases courtes. Elles sont sèches et elles claquent comme des drapeaux tricolores au vent. L’engagement est une évidence, la nuance une perte de temps. La mer est bleue. La Calédonie est française. Le reste, c’est du bavardage.

Le Rassemblement-LR, c’est un roman de Balzac. “Derrière chaque grande fortune se cache un crime.” Ici, la politique est une affaire de réseaux, de salons feutrés, d’alliances calculées. On promet des réformes, on dénonce les abus, mais on connaît par cœur les ficelles du pouvoir. On gère des carrières, pas des idéaux. Au Rassemblement aussi, “Le pouvoir est une habitude que l’on ne perd qu’avec la vie.” Alors on s’accroche, on recycle des discours usés, et on fait semblant de découvrir des problèmes qu’on a contribué à créer.

Le Palika ? C’est Jean-Paul Sartre, bien sûr. “L’enfer, c’est les autres.” L’enfer, ici, c’est la France. L’indépendance est une nécessité existentielle, même si ça ressemble à un saut dans le vide. L’angoisse de la liberté vaut mieux que la sécurité de la dépendance. “L’homme est condamné à être libre.” Même s’il doit être libre de se planter. Ce n’est pas grave. Ce qui compte, c’est de choisir sa chute.

L’Union Calédonienne, elle, s’envole dans des envolées hugoliennes. “Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent. ” Chaque discours est une épopée, chaque meeting une fresque tragique. On invoque les ancêtres, la terre, le sang, les larmes. Le combat touche le divin et l’épique. Le passé est un drapeau, le futur une prophétie. L’émotion est une arme politique, et l’Histoire, un tribunal qui rend des jugements éternels. Peu importe si la réalité est plus complexe : la vérité est dans le souffle des grandes phrases.

La CCAT, c’est Nietzsche qui rugit. “Deviens ce que tu es.” La colère n’est pas un problème, c’est un carburant. La violence n’est pas un tabou, c’est un outil. La morale des faibles est une invention des vaincus. La coutume n’est pas un refuge, c’est un marteau. Pas de place pour la nuance, pas de place pour la paix si elle ressemble à une reddition. “Il faut porter en soi un chaos pour enfanter une étoile qui danse.” Le chaos est bien là, mais l’étoile, on la cherche encore.

Et l’État, dans tout ça ? Kafka, évidemment. “Quelqu’un devait avoir calomnié Joseph, car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin.” L’État est un labyrinthe sans sortie, une machine bureaucratique qui tourne par inertie. Présent partout, utile nulle part. Des décrets qui tombent comme des verdicts sans explication. “Le but est incertain, mais la procédure est sacrée.” On frappe à la porte de l’administration ? Silence. On crie ? Une circulaire. On brûle ? Un rapport d’experts, deux mois trop tard. On tue ? Il est d’urgent d’attendre. Kafkaïen, vous dit-on.

Et nous autres, simples électeurs ? Charles Bukowski aurait aimé nous décrire. “Trouve ce que tu aimes et laisse-le te buter.” Fatigués des discours, blasés des promesses. On vote parce qu’il faut bien faire quelque chose entre deux gorgées de bières. L’espoir est un luxe, l’ironie une certitude. “On est tous nés moisis, alors autant finir moisis avec panache.” Le bulletin, c’est notre dernier geste de dignité dans un système où la dignité a pris la fuite.

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Voilà la politique calédonienne sous un autre angle. Peut-être que la littérature n’explique pas tout, mais elle a ce pouvoir : faire remonter le fond à la surface, comme une vérité qu’on n’avait pas osé regarder en face.

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