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Lettre ouverte à Jean-François Merle, conseiller d’État honoraire

Monsieur,

Votre récente publication, largement relayée par les réseaux indépendantistes, n’est pas anodine. Elle n’étonne guère non plus. Vous avez cette constance des hommes qui ne doutent pas de leurs œuvres, même lorsqu’elles s’effondrent sous leurs yeux. Il y a dans votre génération une forme d’aveuglement tranquille, une croyance en la toute-puissance du verbe et du compromis, comme si l’histoire pouvait être réécrite dans la douceur des salons et des colloques. Comme si les rapports de force, ces vérités brutales qui façonnent les nations, pouvaient être abolis par la simple grâce d’un accord bien tourné. Vous avez, il est vrai, passé votre vie dans l’ombre des pouvoirs, naviguant entre crises et négociations, mais sans jamais voir, sans jamais comprendre. Ce n’est pas un hasard si votre texte est partagé et applaudi par ceux qui ont participé à bruler Nouméa. Ils savent, eux, ce que vous refusez d’admettre : la paix n’a jamais été le fruit d’un papier signé, mais d’un rapport de force imposé.

En 1988, contrairement à ce que vous serinez, ce ne sont pas vos talents de négociateur qui ont mis fin aux Événements, c’est l’assaut d’Ouvéa. C’est l’évidence du fer et du sang. Ce n’est pas la “Mission du Dialogue” qui a changé la donne, c’est la certitude pour le FLNKS que la France ne reculerait pas et que le combat était perdu. Votre rôle, comme d’autres, a été celui d’un scribe des conséquences, organisant la mise en récit d’une réalité militaire pour en faire un mythe politique. Vous avez transformé une reddition en compromis, une capitulation en “processus de paix”. Mais l’Histoire n’est pas dupe. Plus de trente ans après ces accords, regardez la Nouvelle-Calédonie : tout ce que vous avez contribué à bâtir se dissout sous vos yeux. Le système public suradministré s’effondre sous son propre poids. La violence règne. L’État hésite, recule, tempère. L’économie est à terre. L’indépendantisme, loin d’avoir été apaisé par vos paroles, se nourrit du chaos qu’il a engendré. De plus, de nouvelles ingérences étrangères menacent l’intérêt national. Enfin, les populations fuient. Quel fait pourrait-être plus éloquent ?

Votre génération a cru que le socialisme pouvait remplacer la réalité. Vous avez cru que l’on pouvait gouverner sans autorité, que l’État pouvait être un arbitre sans jamais être un acteur, que la France pouvait financer la paix sans jamais imposer l’ordre. Vous avez construit un système ingouvernable, une utopie administrative où l’on ne décide jamais, où chaque problème se gère sans jamais se régler. Vous avez pensé que la morale pouvait supplanter la force, que les peuples accepteraient de se soumettre à des règles qu’ils n’avaient pas choisies, que l’histoire pouvait se suspendre sur un accord de compromis.

Mais la Nouvelle-Calédonie, aujourd’hui, est votre épitaphe.

Vos textes, vos processus de paix, vos “bilans d’étape”, tous vos colloques n’ont pas résisté à la seule loi qui vaille : celle du réel. Et ce réel, c’est la peur dans les rues du Grand Nouméa. Ce sont ces chefs d’entreprise qui vendent leur maison à perte, ce sont ces personnes âgées seules, qui meurent en silence faute de soin. Ce sont les commerces pillés, ce sont ces hommes et ces femmes qui abandonnent leur terre. C’est cela, votre héritage. Une génération entière en exil géographique ou pire, comme en métropole, en exil intérieur. Une faillite totale.

Je pourrais vous accabler davantage, mais ce serait inutile. Vous n’avez jamais compris le monde dans lequel vous évoluiez. Vous l’avez conceptualisé, cartographié, analysé, mais vous ne l’avez jamais senti. Il vous a toujours échappé. Ce qui vous tient lieu de pensée est un long chapelet de doctrines et de formules que la violence des faits internationaux récents a pourtant réduites en poussière. Vous n’avez jamais vu ce qui venait. Vous ne le voyez toujours pas.

Mais vous avez néanmoins une utilité. Non pas celle que vous croyez, non pas celle que vous avez recherchée, mais une utilité paradoxale, malgré vous. Votre œuvre, votre influence, tout ce que vous avez fait et tout ce que vous avez raté, servira. Non pas comme un modèle, mais comme un contre-exemple.

Les générations qui vous suivent tireront une leçon de vos échecs. Comme une boussole méridianopète indiquant avec constance le sud, la trajectoire de votre caste générationnelle nous aidera à mieux nous orienter et à éviter de finir aussi mal. Quand votre génération aura disparu, votre œuvre survivra, mais non pas comme un legs inspirant. Elle restera comme une mise en garde.

Il n’y a rien de personnel dans cette lettre. Vous n’êtes pas un monstre. Vous êtes simplement un homme de votre temps, un enfant de la facilité, un adolescent des sixties, un héritier sans grandeur. Vous êtes l’incarnation parfaite d’une élite qui n’a jamais eu à se battre, qui n’a affronté comme péril historique que la grippe du Covid et qui, pourtant, s’autorise encore à donner des leçons sur la gestion des grands conflits mondiaux à de jeunes parlementaires ou à de nouvelles forces politiques.

La vérité, monsieur, c’est que vous avez toujours eu peur du réel. Mais la peur n’est pas une faute en soi. Ce qui l’est, c’est d’en avoir fait une doctrine, un art de gouverner. Vous et une part importante de votre génération n’avez pas seulement évité le réel, vous l’avez fui. Vous avez confondu prudence et capitulation, compromis et renonciation. Vous avez établi la pusillanimité en méthode, la lâcheté en vertu, la retraite en stratégie. Mais le réel, lui, ne s’efface pas sous les discours. Il revient toujours, et il se moque des belles âmes.

L’histoire, elle, se souviendra de vous. Mais pas comme vous l’auriez voulu.

Respectueusement,

SIRIUS

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