Skip to content Skip to footer

Lettre à nos (très) chers fonctionnaires de Nouvelle-Calédonie

Chers, très chers fonctionnaires,

En cette période troublée, continuer à vous mentir apparaît comme un acte de non-assistance à personne en danger. Aussi, même si elle se veut la plus courte possible, comme l’amère vérité, cette missive vous paraîtra bien longue et très difficile à avaler. Cependant, pour notre bien à tous, prenez une grande respiration, informez-vous des éléments suivants, forgez-vous votre propre opinion et soyez forts.

Le mur du réel

En premier lieu, vous devez comprendre qu’aucun de vos dirigeants, qu’il soit syndicaliste, élu ou bien haut-fonctionnaire ne vous tiendra un tel discours de vérité. Si vous vous interrogez, aucun ne sera apte à vous aider ou à vous éclairer. D’abord parce que face à une mauvaise nouvelle, le déni est toujours la plus prévisible des réponses humaines et ensuite parce que l’immense majorité de vos dirigeants ignore totalement comment fonctionne le système économique. La plupart n’y comprennent absolument rien. Ils sont donc parfaitement incapables d’appréhender ou même de concevoir les conséquences de la crise que traverse le territoire. Tout simplement parce qu’ils sont comme vous : ce sont des fonctionnaires. Ce qu’un carreleur et une boulangère comprennent en l’espace de deux minutes est impossible à appréhender pour un agent des services publics. Tout simplement parce que le carreleur et la boulangère vivent tous deux dans le monde réel. Si le premier ne réalise pas suffisamment de chantiers durant un mois et si la seconde ne vend pas suffisamment de pains au chocolat à sa clientèle, aucun des deux ne pourra se rémunérer. Cette différence entraine toutes les autres.

Comme vous, chers fonctionnaires, tous vos politiciens, tous vos syndicats et tous vos dirigeants sont en fait des rentiers. C’est-à-dire que l’argent des autres leur est versé tous les mois à une date fixe contre le service qu’ils sont censés effectuer. Qu’il pleuve ou non. En confinement ou en période de guerre. En hiver ou en été. Comme vous, ils peuvent ne pas aller bosser pendant plusieurs semaines voire même durant plusieurs mois sans que cela n’ait aucun impact sur leur rémunération ou sur leur niveau de vie. A l’instar des retraités qui sont rémunérés via les cotisations des actifs, vous ne créez aucune richesse mais vous dépendez totalement de celle qui est générée par les autres. Dure à avaler, vous dis-je.

La fabrique de rentiers

Pour autant, les contribuables et le secteur privé vous rétribuent parce que votre rôle est fondamental : c’est celui d’assurer nos services publics. Cependant, si beaucoup de ces derniers sont indispensables au bon fonctionnement de notre société (sécurité, santé, etc.) ou à son devenir (éducation, formation), beaucoup d’autres services publics totalement inutiles ont été créés et inventés depuis ces quarante dernières années uniquement par clientélisme et parce que notre modèle social pouvait se le permettre. Confrontés à un problème, vos élus et vos dirigeants font toujours la même chose : ils créent un nouveau service public chargé de le résoudre et ensuite une taxe pour financer son fonctionnement. C’est ainsi que pour combattre la Vie Chère, nos dirigeants ont créé naguère une autorité de la concurrence. Face à notre dette abyssale, le gouvernement de Louis Mapou a créé une « Agence de la dette ». De même, pour lutter contre la hausse du chômage, vos élus ont créé en début d’année un tout nouveau « Service Public de l’Emploi et du Placement (SPEP) » (1). Et si elles permettent aux politiques de se déresponsabiliser, chacune de ces structures – toutes plus inutiles les unes que les autres – accroît la dépense publique et le nombre de fonctionnaires. C’est l’une des principales raisons pour laquelle le budget de fonctionnement de nos différentes collectivités est passé de 253 milliards en 2017(2) à 330 milliards en 2023(3). Une augmentation de près de 30% des dépenses alors que la population a diminué et qu’aucun calédonien ne peut estimer avoir aujourd’hui de meilleurs services publics qu’il y a cinq ans…  

Comme le prophétisait Honoré de Balzac il y a plus de deux cents ans : « la bureaucratie grandit toujours pour répondre aux besoins croissants de la bureaucratie grandissante ». Parce que l’être humain préférera toujours la rente à l’effort, nos sociétés développées essaient toujours désespérément d’accroître le nombre de rentiers (et donc de fonctionnaires) au détriment des créateurs de richesse (car tout le monde veut être rentier, c’est-à-dire être payé à ne rien faire). Notez là que la notion de travail ne rentre pas en ligne de compte. Les plus de 25 000 fonctionnaires de Nouvelle-Calédonie travaillent, et ils travaillent parfois beaucoup. Simplement, pour l’immense majorité d’entre eux, en termes économiques, ce travail ne sert strictement à rien. Car il ne crée aucune richesse, aucune sorte de plus-value, il ne produit rien et tout cela coute un fric fou. Les fonctionnaires de l’autorité de la concurrence, de Scalair ou du CESE pourraient voir leur nombre doubler ou bien carrément tous disparaître demain matin, cela ne changerait rien au PIB de la Nouvelle-Calédonie ni à la vie de ses habitants.

Exemple 1 : en 1984, les plus anciens se souviennent que la Nouvelle-Calédonie bénéficiait d’une autonomie alimentaire d’environ 90%. Les agriculteurs Calédoniens produisaient à l’époque de quoi nourrir environ 130 000 personnes. La chambre d’agriculture comptait alors 17 salariés. En 2024, quarante ans plus tard, la Nouvelle-Calédonie a une autonomie alimentaire équivalente à 15% de ses besoins. Nos agriculteurs ne produisent plus désormais que de quoi nourrir environ 40 000 personnes. Mais, aujourd’hui, la Chambre d’agriculture compte 76 salariés et coute quatre fois plus cher en argent public qu’à l’époque… Comprenez-vous via cet exemple ce que nous avons tous collectivement accepté de faire ? Nous avons remplacé des créateurs de richesses et des entrepreneurs (qui se payaient eux-mêmes) par des fonctionnaires (payés par les autres) pour, soi-disant, aider et accompagner les premiers à se développer. C’est la définition même d’une économie socialiste. Or, comme disait une très grande dame du siècle dernier : « Le socialisme, ça s’arrête quand on est à court de l’argent des autres. »

Retraités et fonctionnaires

Il en résulte que la dépense publique représente désormais 62% de notre PIB, c’est-à-dire les deux-tiers de la richesse produite en Nouvelle-Calédonie (4). C’était 35% dans les années 60 et c’était 50% au début des années 2000. Autrement dit, votre grand-père travaillait un jour sur trois pour payer les services publics, votre père un jour sur deux, et vous-même deux jours sur trois. Grâce à cet afflux d’argent public, de nouvelles rentes ont été créées. Les deux-tiers des retraités de la fonction publique territoriale ont pu partir à la retraite à taux plein avant 55 ans et leurs pensions représentent en moyenne plus de deux fois le SMG soit 330 000Fcfp/mois (5). Quant aux fonctionnaires encore en exercice, leur rémunération moyenne s’établit sur le territoire à 467 083 Fcfp/mois (3 905€/mois), soit trois fois le salaire minimum (6). Fonctionnaires et retraités ont, en vérité, été les deux grands gagnants de la période dite des Accords. Il est donc parfaitement cohérent qu’ils soient les deux grands perdants de la nouvelle ère qui commence. Car, c’est là où le bat blesse. L’effondrement du secteur privé calédonien n’entrainera pas pour autant sa destruction. Comme la vie, l’économie trouve toujours un chemin. En effet, une entreprise peut cesser d’exister, sa fermeture ne remettra pas en cause le fonctionnement de l’ensemble du secteur dans lequel elle évolue. Au contraire, sa disparition créera de nouvelles opportunités et de nouveaux besoins. Le capitalisme est en effet mue par une force de création-destructrice, laquelle le rend souvent détestable puisque, en perpétuel évolution, il détruit ce qu’il a lui-même créé. En revanche, l’effondrement d’un pan entier du service public entraine des effets systémiques qu’on observe parfaitement bien en Nouvelle-Calédonie.

Le fait que la fonction publique calédonienne soit pléthorique n’est pas non plus le sujet. Le vrai sujet est double : d’abord, copiée-collée de celle de métropole, notre fonction publique dépense chaque année plus qu’elle ne gagne. Ensuite, notre fonction publique est assistée, c’est-à-dire qu’elle dépend pour exister des transferts financiers de l’Etat. Or, depuis 2015 et face à la baisse de la population et donc du nombre de contribuables et de consommateurs, nos administrations ont continué leur croissance comme si de rien n’était, entrainant des déficits publics qui n’ont été partiellement résorbés que via de nouveaux impôts et de nouvelles dettes.  

Exemple 2 : en 2014, la Nouvelle-Calédonie dépensait environ 100 milliards de francs pour son système éducatif qui scolarisait près de 70 000 élèves. Dix ans plus tard, nous dépensons environ 120 milliards de francs pour moins de 63 000 élèves (il y a 7 000 élèves de moins car la population a chuté de 10% en quelques années). Moins d’élèves, mais ça coute 20% plus cher. Idem pour la santé : il y a moins de malades, mais ça coute beaucoup plus cher… Tout est à l’avenant.

Gabegies et déni

Parallèlement à ces augmentations de budgets, nos gouvernants font et disent n’importe quoi. En premier lieu, ils nient les évidences. Pas plus tard qu’en novembre 2023, la Fédération des Fonctionnaires jugeait « fantaisistes » les chiffres de l’ISEE selon lesquels le territoire avait perdu plus de 10% de sa population en 5 ans (7). Pas vraiment bons ni en mathématiques ni en calculs, ces organisations syndicales vivent il est vrai au crochet du système actuel et refusent par principe tout évènement ou toute information qui pourrait remettre en cause le statut quo. Tout ce qu’ils racontent est donc nul et non avenu. Du côté des politiques, c’est encore pire. Au-delà du déni qui les caractérise, ceux-ci n’ont jamais cessé d’accroître les dépenses publiques et ce, quel que soit le parti politique au pouvoir. Depuis l’avènement du gouvernement de Louis Mapou, le nombre de fonctionnaires territoriaux est ainsi passé de 10 942 à 11 184. Alors que la Nouvelle-Calédonie est en pleine crise budgétaire, économique et en cessation de paiement, le gouvernement indépendantiste a créé 242 nouveaux postes de fonctionnaires (8). Ces derniers coutent à la collectivité 120 millions de francs supplémentaires par mois, soit 1,4 milliards par an. Or, chers fonctionnaires, ces prises de position et ces décisions toutes plus stupides les unes que les autres vont immanquablement avoir un impact sur votre avenir ainsi que sur votre futur niveau de vie.

Naturellement, cela fait des années qu’on vous le dit. Depuis 1993, plusieurs rapports ont démontré que le système de retraite par répartition local ne pourrait pas tenir dans la durée et qu’il s’effondrerait vers 2025. De plus, depuis une dizaine d’années, nous nous sommes habitués à recourir à l’emprunt, aidés en cela il est vrai par des taux d’intérêts stupidement bas. Pour nos dirigeants, la dette est devenue une drogue et ils nous endettent pour exister et continuer à croître. Or, que cela vous plaise ou non, il vient toujours un temps où il faut payer ses dettes. Et ce jour se rapproche.

Les solutions

Cela va mal se passer mais rassurez-vous, comme disait Bainville « Dans l’histoire, tout s’est toujours mal passé ! ». Aussi, pour que cela se passe le moins mal possible, il va vous falloir faire des choix difficiles qu’on peut résumer ainsi :

  1. Si vous êtes fonctionnaire, vous pouvez quitter la fonction publique et travailler dans le privé, à votre compte ou pour une société. (NDLR : pour les retraités de la fonction publique il est trop tard. Ils sont désormais dépendants des décisions des autres) ;
  2. En tant que citoyen, vous pouvez plaider auprès de vos décideurs pour une baisse drastique des dépenses publiques. Cela passera par l’arrêt immédiat de tout nouveau recrutement de fonctionnaire ou de contractuel et par le non-remplacement des départs à la retraite. Cela passera par la suppression de tous les organismes publics créés depuis la signature de l’Accord de Nouméa. Cela passera également par la suppression de toutes les primes et de tous les avantages dont vous bénéficiez par rapport au secteur privé. Il est probable également que vous deviez renoncer à une part de l’indexation de vos salaires… Il vous appartient de plaider, là où vous êtes, pour des plans d’économies drastiques au sein de l’administration locale. Gouvernement, provinces, communes, organismes publics : Il est nécessaire que ceux-ci diminuent leur coût de fonctionnement de 25% afin de retrouver le plus rapidement possible une part dans les dépenses publiques équivalente à 50% du PIB (soit une diminution d’environ 150 milliards de francs/an). Il nous suffit pour cela de dépenser et de vivre comme nous le faisions en 2017 ;
  3. Il n’apparait pas nécessaire et pourrait même être contre-productif de toucher aux transferts sociaux, c’est-à-dire aux prestations sociales et aux retraites (environ 350 milliards/an). Il suffit de s’attaquer aux coûts de fonctionnement (330 milliards/an) car la fonction publique calédonienne a démontré par le passé qu’elle pouvait faire mieux avec beaucoup moins d’argent public ;
  4. Si les solutions précédentes ne vous plaisent pas, vous pouvez collectivement plaider pour l’intégration de toute la fonction publique calédonienne ainsi que du système de santé et de retraite local dans le système métropolitain. Cependant, cette sorte de « départementalisation » remettrait profondément en cause tout le travail d’émancipation que vos élus ont patiemment mis en œuvre depuis plus de soixante ans (dans leur seul intérêt il est vrai). Vous aurez donc contre vous toutes les forces indépendantistes et autonomistes ainsi que tous les responsables des structures locales qui vivent de votre argent. Vaste programme…

*     *

*

Vous savez, chers fonctionnaires, lorsqu’un pays traverse une crise grave, il se passe toujours la même chose. On cherche les coupables généralement où ils ne sont pas. On se rassure en se disant qu’on va spolier ceux que l’on considère comme étant plus riches que nous. On se fait plaisir en dénonçant l’assistanat et donc l’aide aux plus démunis. On se convainc que tout va bien se passer. On vote pour les uns, puis pour les autres. On croit à tous les complots, à toutes les facilités. Mais au final, il faut passer à la caisse.

Le mur de la dette

D’un point de vue budgétaire et financier (voire même politique), la situation de la France semble similaire à celle de 1788. Comme à l’époque, une classe de privilégiés a pris le contrôle du pays pour garantir ses intérêts et son train de vie. Comme à l’époque, l’Etat dépense deux fois plus qu’il ne gagne et sa dette est supérieur à ses revenus. Il n’arrivera bientôt plus à emprunter ce dont il a besoin pour fonctionner. L’effondrement français qui adviendra avant la fin de cette décennie doit donc nous presser, nous Calédoniens, de trouver rapidement des solutions pendant ce court laps de temps où l’Etat est encore apte à nous aider et à nous accompagner. Le temps presse. Il est l’heure de sortir du déni et d’agir comme des adultes. Une fin dans l’horreur vaut toujours mieux qu’une horreur sans fin.

Bien respectueusement,

SIRIUS

Sources :

This Pop-up Is Included in the Theme
Best Choice for Creatives
Purchase Now